2025
Une tribune de Philippe Mills parue dans Les Echos, le 25 juillet 2025.
« Les nouveaux enjeux géopolitiques, climatiques et industriels nécessitent des emprunts de long terme que les banques commerciales ne sont pas en mesure d’assurer. Le rôle des institutions publiques de financement est plus crucial que jamais, explique Philippe Mills, Directeur général de Sfil.
Alors que les défis majeurs de notre époque exigent des réponses qui engagent sur des horizons de 20 à 40 ans, voire plus, le temps politique s’accélère sous la pression médiatique et électorale. Cette tension nuit à notre capacité collective à répondre aux enjeux de souveraineté européenne qui structurent le nouvel ordre mondial.
Quatre transformations géopolitiques redessinent l’équilibre mondial : rivalité sino-américaine, retour des pandémies, divisions géopolitiques et fragmentation du commerce international. Dans un monde plus fragmenté et plus violent, l’Europe voit s’affaiblir progressivement sa capacité d’action. Contrairement aux géants chinois et américains (privés en particulier) qui planifient sur des décennies, l’Europe oscille entre empilement des règles, gestion des urgences et contraintes budgétaires.
Ce déficit trouve sa source dans notre incapacité à bien gérer le temps long. Les secteurs stratégiques – nucléaire, défense, transition énergétique – ne se pilotent pas selon les cycles électoraux. Une centrale nucléaire, un programme d’armement, ou les investissements dans la décarbonation des territoires, exigent une vision portée sur des décennies ; or la gestion de nos affaires quotidiennes nous a conduits à négliger cette perspective de long terme.
Aujourd’hui, la plupart des banques commerciales financent rarement au-delà de 20 ans, les investisseurs exigent des rendements immédiats et les marchés ne favorisent pas les stratégies patientes. Cette frilosité financière ne peut qu’amplifier les blocages politiques et entrave nos marges de manœuvre collectives pour financer l’avenir.
Face à cette défaillance, les institutions publiques de financement sont plus que jamais cruciales. Elles permettent des financements jusqu’à 40 ans à taux fixe, ce que les acteurs financiers du secteur privé ne sont plus en mesure de proposer. Elles permettent notamment de financer la transition écologique et sociale des collectivités locales, qui doivent se moderniser et doubler leurs investissements climat d’ici 2030. En construisant un réseau urbain de chaleur par exemple on dote un territoire d’un actif dont la durée de vie est de plusieurs dizaines d’années. Le financer sur une durée trop courte serait comparable à un particulier qui achèterait sa maison à crédit sur 7 ans avec pour conséquence des mensualités élevées et un impact sur son pouvoir d’achat.
Les institutions publiques de financement ont également un rôle à jouer dans des secteurs tels que la défense et le nucléaire civil, où il est essentiel d’offrir aux bases industrielles une vision à long terme. A cette fin, les exportations constituent un levier important qui permet aux industries d’atteindre les volumes critiques.
L’arbitrage est crucial et doit être pragmatique : combattre aujourd’hui la dette écologique pour éviter demain une dette financière encore plus massive. Le financement public, en portant des projets structurants à des taux d’emprunt raisonnables, constitue un formidable outil de souveraineté. Toutefois, son efficacité dépend d’une convergence européenne sur les orientations stratégiques autour de nos infrastructures clés. Il faut mobiliser l’épargne privée, abondante en Europe, et mieux l’orienter, coordonner les politiques nationales pour faciliter l’émergence de filières industrielles européennes, et améliorer l’efficacité des instruments financiers européens.
Dans un monde où la Chine investit massivement dans ses infrastructures et où les Etats-Unis favorisent leur réindustrialisation, l’Europe ne peut réussir qu’en redevenant forte et audacieuse. Les outils existent, il reste à créer les conditions politiques de leur déploiement à grande échelle. Retrouver le sens du temps long n’est pas seulement un défi technique et financier, c’est aussi et surtout un impératif essentiel. »
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