2025
Gestion de l’eau en montagne : entre urgence et innovation – regards croisés avec Séverine Payot.
La moyenne montagne française, située entre 600 et 1 500 mètres d’altitude, est en première ligne face aux effets du réchauffement climatique. Sécheresses estivales, fonte précoce des neiges et tensions croissantes sur les ressources en eau bouleversent l’équilibre de ces territoires, les poussant à repenser en profondeur leur gestion de l’eau. Pour mieux comprendre ces enjeux, nous avons rencontré Séverine Payot, polytechnicienne et présidente du cabinet de conseil Sèves, spécialiste de la transformation des modèles d’affaires dans les communes de montagne. Ensemble, nous dresserons d’abord un état des lieux des réseaux d’eau, avant d’examiner les solutions déjà mises en place, puis d’élargir la réflexion aux questions plus globales que soulève cette transition hydrique.
En moyenne montagne, la gestion de l’eau fait face à une double menace : des infrastructures dégradées et des ressources de plus en plus fragiles. Près de 20 % de l’eau potable distribuée est perdue chaque année à cause de fuites, un chiffre bien supérieur à la moyenne nationale. Dans les Alpes-de-Haute-Provence ou les Hautes-Alpes, ces pertes atteignent même jusqu’à 40 %. Ces fuites s’expliquent par un réseau d’eau vieillissant, souvent enterré à faible profondeur pour résister au gel, mais aujourd’hui mis à mal par les sécheresses répétées qui fragilisent les sols.
Cette vulnérabilité technique s’inscrit dans un contexte climatique de plus en plus instable. La diminution de l’enneigement en hiver, remplacé par des pluies à basse altitude, limite le stockage naturel d’eau. L’été, les sécheresses s’intensifient, tarissant les sources gravitaires qui alimentent historiquement les villages. Certaines communes, comme Thonon-les-Bains, se voient contraintes de puiser massivement dans des ressources extérieures, comme le Léman.
À cette raréfaction s’ajoute une compétition accrue entre usages. L’agriculture, les stations de ski, les spas thermaux et les centrales hydroélectriques se disputent une eau devenue rare. Cette tension est d’autant plus aiguë que, dans l’imaginaire collectif, l’eau et la neige en montagne semblent inépuisables.
“ On est encore accroché à l’idée qu’en altitude, il y aura toujours un stock d’eau sous forme de glace ou de neige. Or les glaciers reculent et la neige se fait de plus en plus rare en moyenne montagne. Le stock d’eau pour l’été va donc diminuer. ”
Séverine Payot
En témoignent les arrêts préfectoraux sur le Rhône ou même le fait que certaines industries soient contraintes d’arrêter la production. Récemment, une dérogation préfectorale a été donnée à une centrale pour lui permettre d’utiliser l’eau du Rhône comme moyen de refroidissement, au prix d’un impact écologique direct sur la biodiversité du fleuve.
Ainsi, les territoires de moyenne montagne se retrouvent pris dans un cercle vicieux : réseaux fragiles, ressources sous pression et climat instable se conjuguent, rendant urgente une réflexion de fond sur la manière de gérer et de préserver l’eau.
En témoignent les arrêts préfectoraux sur le Rhône ou même le fait que certaines industries soient contraintes d’arrêter la production. Récemment, une dérogation préfectorale a été donnée à une centrale pour lui permettre d’utiliser l’eau du Rhône comme moyen de refroidissement, au prix d’un impact écologique direct sur la biodiversité du fleuve.
Ainsi, les territoires de moyenne montagne se retrouvent pris dans un cercle vicieux : réseaux fragiles, ressources sous pression et climat instable se conjuguent, rendant urgente une réflexion de fond sur la manière de gérer et de préserver l’eau.
Face à la pression croissante sur la ressource en eau, les territoires de moyenne montagne ne restent pas passifs. À travers des initiatives locales innovantes, des communes et agglomérations expérimentent de nouvelles stratégies pour sécuriser l’approvisionnement, adapter leurs infrastructures et amorcer une gestion plus durable.
La lutte contre les fuites constitue une priorité. Des technologies comme les capteurs connectés ou les drones de détection sont aujourd’hui utilisées pour repérer les points faibles des réseaux d’eau. Certaines communes vont plus loin en adoptant une gestion proactive. C’est le cas du Bourget-du-Lac – que reprend Séverine Payot – où l’interconnexion avec les communes voisines a été repensée pour canaliser efficacement les eaux en cas de crue. À Chambéry, la politique d’aménagement urbain s’adapte au climat : désimperméabilisation des sols, végétalisation, infiltration des eaux de pluie… autant d’actions pour rendre le territoire plus résilient.
D’autres leviers d’action passent par la régulation de la demande. À Bourg-Saint-Maurice, une tarification progressive rend le mètre cube d’eau 50 % plus cher au-delà de 800 m³ consommés, ciblant les gros consommateurs comme les hôtels et centres de bien-être. De son côté, la communauté de communes de Rumilly Terre de Savoie a pris une mesure forte : geler temporairement les permis de construire dans les zones à faible disponibilité d’eau, le temps d’élaborer un plan directeur pour mieux encadrer l’urbanisation.
Les solutions passent aussi par la diversification. Certaines collectivités investissent dans la récupération des eaux pluviales pour l’arrosage ou le nettoyage urbain, ou expérimentent la réutilisation des eaux usées traitées à des fins agricoles — une piste prometteuse encore freinée par la réglementation actuelle. Enfin, la solidarité territoriale joue un rôle croissant : Thonon-les-Bains, par exemple, achète de l’eau à Annemasse pour approvisionner ses secteurs isolés, tout en doublant sa capacité de potabilisation de l’eau du Léman.
Ces initiatives, bien que locales, esquissent les contours d’une nouvelle culture de l’eau en montagne — plus prévoyante, plus sobre et plus collective. Mais elles soulèvent aussi des questions plus larges sur la gouvernance, les choix de développement et la place de l’eau dans nos modèles de société.
Si les initiatives locales se multiplient, leur portée reste souvent limitée par le manque de moyens techniques, humains et financiers. En moyenne montagne, de nombreuses communes manquent d’une ingénierie suffisante pour piloter des projets d’envergure. Le programme Avenir Montagnes apporte un soutien ciblé, mais les élus appellent à une réforme plus profonde, notamment de la fiscalité liée à l’eau, afin de mieux faire appliquer le principe du « pollueur-payeur ».
L’enjeu dépasse largement la seule adaptation locale. Il s’inscrit dans une vision systémique : garder l’eau sur le territoire, favoriser des sols capables de l’absorber et de la filtrer, limitant ainsi les impacts des précipitations plus intenses et des potentielles inondations.
“ L’eau des montagnes est absolument névralgique car elle alimente de nombreux territoires. De plus en plus de communes gèrent elles-mêmes cette ressource, mais il reste crucial de positionner correctement la gouvernance et les priorités ”
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Cette approche soulève une question centrale : qui est responsable de quoi dans la gestion de l’eau ? Les lignes de gouvernance sont encore floues, entre compétences communales, intercommunales, régionales et nationales. Pourtant, à l’échelle d’un bassin versant ou d’une chaîne de montagnes, la cohérence d’action est indispensable.
Pour anticiper les tensions à venir, des projets comme PIRAGUA, dans les Pyrénées, s’appuient sur la modélisation des ressources en eau à l’horizon 2050. Ces outils permettent d’éclairer les choix politiques, mais encore faut-il pouvoir financer les infrastructures nécessaires. À ce titre, le levier financier est déterminant.
Des solutions existent : Sfil, via ses partenaires bancaires, propose des financements à très long terme – jusqu’à 40 ans – et à des conditions avantageuses, permettant aux collectivités d’investir dans la rénovation de leurs réseaux, le stockage de l’eau ou encore l’innovation technologique (voir par exemple ce projet financé en Charente). Ce type de financement structurel est essentiel pour accompagner des transitions hydriques qui s’inscrivent dans le temps long.
À l’heure où la ressource en eau devient critique, revaloriser l’eau comme bien commun, en lien étroit avec les territoires mais aux conséquences globales, s’impose comme un impératif. Cela implique une mobilisation conjointe des élus, des ingénieurs, des citoyens et des acteurs financiers. Car l’eau de demain, en montagne comme ailleurs, se joue aujourd’hui.
A PROPOS DE SEVES :
Sèves est un cabinet de conseil né dans les Alpes, qui accompagne entreprises et territoires sur leurs transformations de modèles dans un contexte chahuté. Ses sujets de prédilection : adaptation et résilience, gestion des risques et intelligence collective ! Vous pouvez contacter Séverine Payot via Linkedin ou une prise de rendez-vous.
A PROPOS DE SFIL : En savoir plus ici